Résidence à Ambert : le papier Richard de Bas

Je ne l’avais que très rapidement évoqué lors d’un précédent article : depuis la mi-septembre, je suis en résidence d’artiste dans la ville d’Ambert en Auvergne, à la Manufacture d’images du Centre culturel Le Bief. La Manufacture est un lieu consacré à la découverte et à la promotion des techniques d’estampe, c’est-à-dire d’image imprimée de façon artisanale à partir d’une matrice, terme qui inclut la gravure sur bois, sur lino, sur cuivre, sur zinc, la sérigraphie… entre autres ! Ce bel endroit m’accueille donc pour une durée de deux mois, afin que je travaille dans leurs ateliers sur un livre réalisé en gravure sur cuivre, en lien avec le territoire auvergnat et mes propres thématiques.

C’est pour moi une fantastique expérience que de pouvoir me consacrer à ce travail dans un tel cadre, et de découvrir en même temps une très belle région. J’en reparlerai plus en détails lors d’un prochain article, avec quelques aperçus de mon travail réalisé à la Manufacture et une petite description des lieux ! Mais avant d’en arriver là, je souhaiterais présenter un endroit qui a été pour moi le point de départ de cette résidence et mon premier lien à la ville d’Ambert, le moulin à papier Richard de Bas.

Situé à quelques minutes à peine de la ville d’Ambert dans le Livradois-Forez, Richard de Bas est donc un moulin du 14ème siècle et le dernier d’Auvergne à produire encore du papier à la façon artisanale. La tradition papetière à Ambert est forte puisque c’est dans cette région que l’on commença à produire du papier en France au Moyen Âge. Les feuilles réalisées à Richard de Bas ont ainsi servi par exemple de support à l’impression de l’Encyclopédie Diderot d’Alembert. Désormais, les quelques deux cents feuilles produites par jour au moulin sont principalement utilisées pour des travaux artistiques ou des éditions d’exception. L’estampe fait bien sûr partie de ces usages ! Dès le premier jour de ma résidence à la Manufacture, j’ai ainsi eu la chance de pouvoir visiter le moulin Richard de Bas, et de découvrir la technique de fabrication artisanale du papier par le biais de leur musée vivant, ouvert au public tout au long de l’année.

La première étape de réalisation du papier artisanal est la fabrication de la pâte à papier. C’est cette partie du processus qui nécessite l’utilisation d’un moulin à eau. En effet, cette pâte, faite de fibre de coton, s’obtient à partir de chiffons, restes de vieux draps blancs et linges de maison qui seront d’abord lacérés en petits morceaux avant d’être broyés sous d’énormes marteaux.

Le chiffon est placé avec de l’eau dans des cuves en granit, sous ces marteaux qui seront mis en action par la roue à aube du moulin. Le mouvement rotatif d’un axe pourvu de cales en bois va les soulever et les faire retomber à intervalles réguliers, jusqu’à ce que le coton ne soit plus qu’une bouillie gorgée d’eau. Cette étape est très longue et nécessite que les marteaux restent en activité pour une durée de trente-six heures. En outre, elle est sujette aux aléas du temps. Lorsque le ruisseau est gelé en hiver ou asséché en été, point de pâte à papier ! L’action des imposants marteaux produit un bruit sourd qui résonne à travers la vallée :

Une fois la pâte à papier obtenue, l’on réalise les feuilles en elles-mêmes grâce à un tamis placé sur un cadre en bois qui en déterminera le format. La structure de ce tamis est aussi ce qui permet d’obtenir soit un papier vergé, dont la texture possède des lignes visibles liées aux reliefs de la grille, ou un papier vélin, plus uniforme, où seul le grain du papier est perceptible mais nulle trame. C’est aussi sur le tamis qu’est placé le motif en fil de fer qui constituera le filigrane, la marque du moulin permettant d’identifier la provenance du papier, visible en transparence sur chaque feuille.

Dans une vaste cuve remplie d’eau, de pâte à papier et de colle à base de sève de pin, les artisans papetiers immergent donc le tamis de façon à récupérer un peu de matière, puis à filtrer l’eau. La technicité du geste réside dans la capacité du papetier à obtenir une surface uniforme et surtout, à estimer d’un toucher et d’un regard si la feuille en création aura le grammage désiré, c’est-à-dire la même épaisseur que toutes les autres feuilles. L’écart toléré ne peut être que de cinq ou dix grammes.

Passé cette étape, la feuille nouvellement créée est positionnée entre deux buvards, puis, une fois une centaine ou une cinquantaine de feuilles ainsi réalisées, celles-ci seront placées sous un étau pour les essorer de la majorité de leur eau. À ce stade, le papier est encore humide mais constitue déjà une surface uniforme solide et non plus une pâte qui se désagrégerait au toucher. Il est possible de l’étendre pour finir de le sécher. La méthode traditionnelle consistait à disposer les feuilles sur des cordes, mais le pli avait tendance à marquer le papier. Désormais, celles-ci sont étendues par le moyen de pinces à linge, puis repassées afin d’être parfaitement plates, l’étape du séchage les ayant gondolées. Reste alors à découvrir la jolie boutique du moulin Richard de Bas pour se faire une idée des usages possibles de ce superbe papier.

J’ai découvert le papier Richard de Bas d’une façon très curieuse, au salon Livres Paris de 2017. Je venais alors de réaliser cette série de dessins à l’encre, sur d’anciennes feuilles de papier jauni que ma grand-mère m’avait offert lorsque j’étais enfant, et qu’elle conservait depuis déjà quelques dizaines d’années à l’époque :

Dans les allées de Livres Paris, je remarque par hasard le stand du moulin Richard de Bas, et fais aussitôt le rapprochement avec le filigrane visible sur mes quelques feuilles. Une petite discussion plus tard, j’apprends que ce papier est toujours fabriqué à l’identique depuis plus de soixante-dix ans, lors de la réouverture du moulin. J’ai ainsi découvert Richard de Bas et son histoire, Ambert, puis, de fil en aiguille, le Centre culturel le Bief et la Manufacture d’images. La résidence en cours sera l’occasion pour moi de travailler à nouveau avec ce beau papier, qui servira à l’impression de mes gravures, et de participer à la vie actuelle de cette tradition papetière !

À bientôt,

Amaryan

2 réflexions sur « Résidence à Ambert : le papier Richard de Bas »

  1. Que de beaux souvenirs, le moulin de Richard de Bas! Je ne savais même pas qu’ils avaient un stand à Livre Paris 🙂
    En tout cas c’est une super opportunité cette résidence d’artiste et j’espère qu’on en saura un peu plus sur ce fameux livre que tu es en train de préparer…

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