Gravure à l’eau-forte – Partie 1

Après la gravure sur bois, il est temps cette fois pour moi de présenter une des nombreuses techniques de gravure sur métal, l’eau-forte.

L’eau-forte consiste à recouvrir une plaque de cuivre (ou de zinc) d’un vernis spécial dit vernis dur (à l’opposé du vernis mou, une autre technique de gravure), dans lequel on viendra dessiner avec une pointe, de façon à mettre à nu le métal aux endroits désirés. La plaque ainsi travaillée est ensuite plongée dans un acide, qui viendra ronger le cuivre uniquement aux endroits où celui-ci est découvert, tandis que les zones vernies resteront inaltérées. La particularité de cette technique est donc que le graveur n’incise pas le métal en lui-même avec son outil, mais simplement le vernis, ce qui permet un travail très fluide, des traits souples assez proches du dessin. Il s’agit en outre d’une réalisation beaucoup plus rapide et moins physique que d’autres techniques de taille-douce, comme le burin, qui demande davantage de technicité pour maîtriser l’instrument.

L’eau-forte, si elle permet cette fluidité, n’est cependant pas dépourvue d’inconvénients : elle implique l’usage de nombreux produits chimiques ce qui la rend difficile à réaliser chez soi, les étapes de traitement et de morsure de la plaque sont assez longues, et la fragilité du vernis rend les accidents fréquents. Une fois le vernis posé, mieux vaut réaliser sa gravure dans les plus brefs délais et éviter de déplacer sa plaque.

Cela n’en reste pas moins une technique très prisée des peintres et dessinateurs. Rembrandt, par exemple, est considéré comme l’un des grands maîtres de l’eau-forte. Il a poussé très loin cette technique en en explorant toutes les possibilités, alliant énergie et spontanéité du trait à un travail de contrastes et de textures d’une rare profondeur.

Maintenant que l’essentiel des explications est fait, je vous propose de découvrir les étapes de l’eau-forte pas à pas et en photos, à partir de ma dernière gravure.

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Le travail de l’eau-forte commence par la préparation de la plaque de cuivre ou de zinc. Celle-ci doit être lisse et sans défaut si l’on désire avoir un fond parfaitement blanc au moment de l’impression sur papier. À Paris, il est possible d’acheter des plaques au polissage « miroir », au format désiré, dans plusieurs magasins comme Tartaix ou Joop Stoop. La plaque est vendue protégée sur une face par un film plastique, que l’on retire juste au moment de se mettre au travail.

Une fois la plaque biseauté et nettoyée, il est important de protéger son verso, afin que celui-ci ne soit pas attaqué au moment de la morsure dans l’acide. Personnellement, j’ai tapissé le dos de la plaque de gros scotch, puis j’ai vernis la face à travailler au pinceau. Il est également possible de vernir les deux faces (sans oublier les bords de la plaque). Les irrégularités visibles dans le vernis, liées aux coups de pinceau, ne sont pas un problème, l’essentiel étant que la plaque soit parfaitement recouverte. Tout endroit non protégé sera attaqué par l’acide.

Vient ensuite le travail de conception et de dessin. Dans un premier temps, je réalise un croquis rapide, à l’échelle 1:1, de mon projet. Ici, il s’agit d’une île pieuvre tirée des mythes cosmogoniques polynésiens.

La particularité de la gravure est bien sûr que l’on travaille une matrice de cuivre qui servira ensuite à réaliser des impressions. On grave donc « à l’envers » par rapport au résultat final, ce qui doit toujours être pris en considération. Pour me simplifier la tâche, je réalise mon premier croquis dans le sens voulu, puis je l’inverse à la photocopieuse. J’utilise ensuite cette impression ainsi que diverses références pour me guider dans le travail de gravure. Il existe des techniques permettant de transposer un croquis directement sur la plaque de cuivre, mais je préfère graver la plaque vierge tout en m’efforçant de respecter autant que possible les proportions d’origine de mon crayonné.

Le travail sur le vernis est réellement très proche du dessin. La pointe glisse sans rencontrer de résistance pour mettre à nu le cuivre et permet de travailler lignes et textures avec aisance. Une fois que l’on est satisfait du résultat, vient alors l’étape de la morsure.

Autrefois, « eau-forte » était le nom donné à l’acide nitrique (ou acide azotique), utilisé dans ce procédé de gravure. Mais l’acide nitrique est un produit très dangereux qui émane des exhalaisons toxiques. De nos jours, la norme est d’utiliser le perchlorure de fer, non moins abrasif, et très salissant, mais qui ne produit aucune émanation nocive. Le contact avec la peau et les yeux demeure néanmoins dangereux, cela reste donc un produit à manipuler avec précaution et un équipement adapté.

On remplit donc un bac en PVC de perchlorure de fer, dans lequel on immerge sa plaque de cuivre. J’ai réalisé de petites languettes en scotch afin de pouvoir retirer la plaque ou la déplacer sans avoir à mettre les mains (même gantées) dans le bain. On peut réaliser la morsure face vers le haut ou vers le bas. Vers le bas, cela évite que les dépôts de cuivre s’accumulent sur la plaque et produisent une morsure irrégulière. Vers le haut, il faut agiter la plaque de temps à autres pour chasser les particules.

Pour cette gravure, j’ai réalisé trois morsures successives afin de bénéficier de davantage de contraste. Entre chaque morsure, j’ai ainsi recouvert d’une nouvelle couche de vernis les parties du dessin que je souhaitais garder plus claires : ainsi le cuivre est creusé moins profondément par l’acide à ces endroits-là et le trait imprimé sera un gris clair ou moyen et non un noir. Il s’agit là d’un autre inconvénient de l’eau-forte : il est assez difficile d’estimer le temps de morsure nécessaire. Celui-ci est soumis à de nombreuses variables, comme la température extérieure, la taille de la plaque, le résultat escompté… Seule l’expérience permet de juger ces paramètres avec précision.

J’ai rencontré quelques petits incidents. Le vernis, si fragile, a sauté à deux ou trois endroits entre le deuxième et le troisième bain, j’ai donc dû procéder à des retouches qui n’ont heureusement pas laissé de marques.

Une fois les morsures terminées, il est temps de retirer le vernis au white spirit :

On retire également le scotch de protection au dos de la plaque, et on termine le nettoyage à l’alcool à brûler. La plaque retrouve alors sa brillance de miroir du début, à l’exception des endroits qui ont été mordus par l’acide.

Il y a tant de reflets qu’il est difficile de se rendre compte du résultat… Mais à l’ombre et sous le ciel uniforme, le dessin se révèle finalement. Reste l’étape de l’impression, pour effectuer de premiers tests de tirages, réaliser d’éventuelles retouches, puis des épreuves en bonne et due forme. Tout cela fera l’objet d’un prochain article !

À très bientôt,

Amaryan

 

Partie 2

6 réflexions sur « Gravure à l’eau-forte – Partie 1 »

  1. Très impressionnant ! ♥
    J’aime l’attitude vieux sage de ce poulpe-montagne, il est majestueux ! Bravo pour cette incroyable réalisation !

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